Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
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Cessons d'ignorer les oiseaux de mauvais augure

Paru dans 24 Heures le 26 fév. 2003

Dans l'Antiquité, pour prédire l'avenir, on observait le vol des oiseaux. Certains passaient pour présager un malheur. Aujourd'hui, experts et statisticiens ont remplacé l'observation des volatiles. Mais lorsqu'ils osent annoncer une difficulté, mettre le doigt sur un problème, ils sont toujours considérés comme des oiseaux de mauvais augure que l'on cherche à ignorer.

Banque cantonale vaudoise : la justice est appelée à définir les délits commis et à punir les coupables. Mais on sent déjà se dessiner la ligne de défense : il n'aurait pas été opportun de montrer que cette vénérable institution était en difficulté. Parce que les Vaudois n'aiment pas les vagues. Ne pas s'enthousiasmer, et, surtout, ne pas dramatiser ! C'est sans doute un reste de sagesse paysanne : le soleil finit toujours par briller après la pluie.

On s'indignera à juste titre d'apprendre que des faux dans les titres ou des manipulations comptables ont été effectués. Mais on rappellera que ceux qui, au sein même de la BCV, ont mis dès 1996 le doigt sur l'insuffisance de provisionnement n'ont pas été écoutés. Ce  refus de regarder en face une réalité qui dérange n'est pas l'apanage de la BCV. Un journaliste commentait : "Finalement, la confiance aveugle dans la BCV s'avère une composante de la sous-estimation collective des problèmes financiers du canton, de cette incapacité vaudoise à se faire mal"

Prenez l'affaire du Contrôle cantonale des finances, l'été dernier. Le rapport dénonce des dysfonctionnements dans certains services sociaux. Réaction de l'officialité : le chef du CCV manque de diplomatie, on l'attaque personnellement. Quant à la question qu'il soulève, celle des abus sur lesquels de nombreux citoyens pourraient mettre un nom ou un visage, elle est reléguée au second plan. 

On peut prendre d'autres exemples, hors du domaine financier.
Le procureur Schwenter s'est permis de mettre en cause la légalité d'une démarche du Conseil d'Etat. Horreur : il a diffusé des copies de sa lettre ! Mais si on parlait du problème qu'il met en évidence : nos agents de police ont juré par serment de ne pas taire les infractions dont ils ont connaissance. Peut-on leur demander de faire une exception lorsqu'il s'agit de clandestins ?

Parlons de l'enseignement du français dans l'école vaudoise. Au début des années nonante, un groupe d'experts mandaté par le Département de l'Instruction publique est parvenu à la conclusion que la méthode pratiquée était mauvaise. Qu'a-t-on fait : on a rangé le rapport dans un placard et, plus de dix ans après, rien n'a changé. Au grand désespoir des maîtres d'apprentissage et des professeurs d'université qui sont confrontés quotidiennement aux lacunes d'un enseignement inadapté.

C'est toujours la même attitude : on ignore ou on fait taire ceux qui refusent d'entonner le refrain officiel : "Tout va très bien, Madame la Marquise…" Gilles chantait : "Pour ne pas te faire de la peine, canton de Vaud mon beau canton, il faut jamais hausser le ton, ton-ton ton-taine et tonton" !

Dans sa pratique quotidienne, le médecin a pour principe de ne pas cacher la vérité. Lorsque son diagnostic établit la présence d'un cancer, il choisit de le révéler à son patient, même si la vérité est dure à entendre, parce seule cette vérité peut décider le patient à accepter l'opération mutilante ou le traitement éprouvant qui constituent son unique chance. Ce n'est que lorsque la situation est désespérée que, par charité, il préfère généralement atténuer son diagnostic, pour ne pas priver son patient de la lueur d'espoir à laquelle il a droit.

Ceux qui minimisent les difficultés que traverse notre société, ceux qui refusent d'affronter les problèmes pour leur trouver une solution concourent à rendre la situation désespérée. Quant aux autres, ceux qui croient que le Canton de Vaud a des atouts, des richesses et des forces capables de le sortir des difficultés actuelles, écoutons-les décrire la situation dans toute sa gravité, laissons-les parler librement.

Au sein même de la BCV, on regrette aujourd'hui que les oiseaux de mauvaise augure aient été ignorés.




 

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