Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
Jacques-André Haury
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  PÂQUES

Nous appartenons à la civilisation du pardon

Paru dans 24 Heures le 28 mars 2002

Rappelez-vous le désarroi du peuple suisse lorsque, en 1996, éclate l’affaire des fonds en déshérence. Beaucoup d’observateurs ont considéré que les Suisses souffraient de voir ternie l’image idyllique de leur passé. Je ne partage pas cet avis, ayant toujours été élevé dans l’idée que la Suisse avait dû composer avec ses voisins, ce qui suppose une part de compromission. En revanche, je pense que les Suisses et leurs gouvernants n’étaient pas préparés à rendre des comptes sur des affaires vieilles de cinquante ans.

Notre société est marquée par le poids de la civilisation chrétienne, au cœur de laquelle le pardon est enseigné et répété comme une valeur fondamentale. Même les moins pratiquants connaissent les mots de l’oraison dominicale : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ». Dans la vie courante, notre éducation nous a exercés à ne pas entretenir les vieilles rancunes. On montrait du doigt les familles qui continuaient à se disputer parce que les grands-pères avaient été ennemis. La vendetta n’est pas convenable.

Dans notre droit, la notion de prescription a quelque chose à faire avec le pardon. Après une période définie, 20 ou 25 ans pour les délits les plus graves, toute poursuite judiciaire est impossible. C’est la durée d’une génération. Cette pratique admet que, le temps s’étant écoulé, il est préférable de ne pas tenter de revenir sur des événements passés.

Voilà que les choses changent. Le peuple suisse, comme la plupart des Etats voisins, ont supprimé la prescription pour les crimes contre l’humanité.  Et le mouvement est donné. Sans porter aucun jugement sur cette transformation de notre ordre juridique, il est utile d’en mesurer toute la portée. Car avec elle s’installe l’idée que, d’une façon générale, la page du passé n’est pas tournée. Et puisqu’elle n’est pas tournée, on est en droit de rechercher des culpabilités et les dédommagements qui en résultent. Ou, plus simplement, d’accuser les acteurs du passé.

On pourrait citer de récentes décisions de notre justice qui procèdent de cette démarche. Quant à nos historiens, il paraissent avoir trouvé là une nouvelle vigueur. On peut attendre d’Expo 02 quelques belles leçons données dans cet esprit…

On sait que les malades dépressifs ont une difficulté particulière à se libérer de leur passé. On peut se demander si notre société, qui s’habitue presque de façon morbide à ressasser son passé, ne sombre pas globalement dans la neurasthénie. Bien sûr que, derrière ce phénomène général, il se trouve des hommes et des femmes qui ont souffert, qui ont été lésés, qui crient justice. Mais le « devoir de mémoire » ne saurait occuper tout l’espace de la réflexion. A côté du devoir de mémoire, nous affirmons le devoir de pardon et le devoir d’oubli.  Sans eux, nous nous épuisons dans de vieilles querelles auxquelles nous n’avons pris aucune part et nous oublions de considérer les décisions d’aujourd’hui et de demain, dont nous sommes responsables.

Mon rôle n’est pas d’ouvrir un débat sur la théologie du pardon ; j’en suis incapable. Mais j’observe qu’il est une des composantes de notre inconscient collectif. Et j’ose affirmer qu’il est une valeur positive de notre tradition chrétienne, parce qu’il contribue à unir plutôt qu’à diviser.

Confrontées à la rencontre avec d’autres cultures, les églises s’emploient à dialoguer. Ce dialogue s’enrichit lorsque les partenaires osent affirmer leur identité. Dans la corbeille de mariage du multiculturalisme, les chrétiens feraient bien de rappeler qu’ils déposent la tradition du pardon. Non pas pour affirmer une supériorité globale sur les autres cultures, mais modestement pour identifier un de leurs apports à l’harmonie de la société.

La fête des vignerons de 1977 se déroule sur cinq saisons. La cinquième se termine par les cloches de Pâques : c’est la saison du renouveau. On ne devrait pas oublier que le renouveau et le pardon sont enfants d’un même esprit.




 

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