Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
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  SOCIÉTÉ

L’école actuelle prépare-t-elle à affronter la liberté ?

Paru dans L'Institut libéral le 30 nov. 2016

Les libéraux défendent un modèle de société laissant à l’individu un maximum de liberté. Ils admettent que, à côté des bénéfices que cet individu retire de la liberté, il en assume aussi les responsabilités et les risques. La question est de savoir si notre système éducatif, et en particulier notre école publique, prépare l’enfant à cet état de liberté. Notre propos est de tracer, au travers de l’évolution récente de la pédagogie développée dans notre pays, quelques repères permettant de répondre à cette préoccupation essentielle pour des libéraux.

A. Eléments d’histoire

1. L’ambition politique d’une réforme pédagogique
Au cours des cinquante dernières années, notre école publique a subi des transformations fondamentales. Dans ses structures et dans sa pédagogie.
Il est utile de rappeler le Plan Langevin-Wallon.
Ce programme d’instruction publique fut élaboré entre 1946 et 1947 par de la Commission ministérielle d’études pour la réforme de l’enseignement nommée par René Capitant, ministre communiste à l’Education nationale dans le gouvernement provisoire de la République française du Général de Gaulle. Cette commission fut présidée successivement par Paul Langevin puis Henri Wallon.
Ce projet fut abandonné en 1947 par le gouvernement Ramadier. Mais il demeura dans les tiroirs de l’administration et fut réalisé progressivement par les ministères de la Ve République.
Ceux qui connaissent les diverses réformes qu’ont traversées nos écoles romandes au cours des dernières décennies relèveront avec intérêt les analogies existant avec quelques-uns des objectifs du Plan Langevin-Wallon :

  • Egalité des chances
  • Collège unique organisé en « cycles «
  • Ecole maternelle dès 3 ans
  • Enseignement obligatoire jusqu’à 18 ans
  • Tronc commun jusqu’à 15 ans
  • Formation universitaire unique pour tous les enseignants de la maternelle à l’université
  • Formation de tous à la pédagogie « active » et l’éducation nouvelle
  • Les inspecteurs deviennent des conseillers pédagogiques en collaboration avec les centres de recherche pédagogique
  • Création d’un corps de psychologues chargés de suivre les élèves pour les orienter

Ces réformes étaient portées par l’ambition de transformer fondamentalement une société qui avait conduit la France et l’Europe dans les drames de deux guerres mondiales : une ambition de nature révolutionnaire. Célestin Freinet (1896-1966), qui fut au nombre de ces rénovateurs de l’enseignement français, écrivait :
« Au lieu d’attendre une improbable révolution, il faut que la révolution entre dans la classe des enfants pauvres pour transformer la société à venir. »
Il reprochait à l’école traditionnelle « de ne point rendre nos enfants intelligents, mais seulement de les dresser à subir et à accepter, à désirer même la loi du troupeau et de la servitude. »
On trouve, dans la pensée de ces rénovateurs, une idée d’essence marxiste qui apparaîtra aussi dans plusieurs publications issues chez nous de la FAPSE (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève) : ils considèrent que l’école traditionnelle vise à reproduire une société de classes, séparant de rares élites dominatrices d’une masse de travailleurs soumis.
Il n’est pas sans intérêt de citer cette devise inscrite au fronton d’un vieux collège de Moudon (environ 1820) : « On ne peut se régir soi-même et commander aux autres que lorsqu’on a d’abord appris à obéir ». Cette citation, qui reflète certainement l’esprit de l’enseignement public dans notre pays, s’oppose fondamentalement à l’analyse marxiste des « révolutionnaires ». Dans le même esprit, on doit ici rendre hommage aux très nombreux instituteurs vaudois qui, au fil des générations, ont payé de leur personne et usé de leur énergie pour convaincre certaines familles modestes de la valeur d’un de leurs enfants et leur faire accepter l’idée que cet enfant « devait faire le collège ».

2. Les effets du développement de la psychologie
Parallèlement à cette démarche révolutionnaire, la psychologie se développe et va transformer les théories pédagogiques. Sans entrer dans des détails qui dépasseraient nos compétences et les limites de cet article, il faut citer les travaux de Jean Piaget, biologiste et psychologue, né à Neuchâtel en 1896 et mort à Genève en 1980. Il fut l’un des professeurs marquants de la FAPSE. Ses travaux sur le développement de l’intelligence de l’enfant ont bouleversé les pratiques pédagogiques. Pour Piaget, l’enfant ne développe pas son intelligence en recopiant ou imitant l’enseignement d’un maître, mais il la construit par interaction avec son environnement (constructivisme). De son côté, le Biélorusse Lev Vygotski (1896-1934) considère le développement intellectuel de l’enfant comme une fonction des groupes humains plutôt que comme un processus individuel. La combinaison de ces deux théories fondera le socioconstructivisme, qui va dominer les réformes pédagogiques, notamment dans les pays francophones.
L’apprentissage de la marche a souvent servi d’exemple au constructivisme : pour parvenir à marcher, l’enfant tente de se mettre debout, il tombe à gauche, il tombe à droite, et finalement trouve son équilibre. L’apprentissage naturel est ainsi constitué d’une interaction entre le désir d’acquérir une compétence (la marche) et la situation de déséquilibre qui oblige l’enfant à développer de nouveaux outils pour y parvenir.
A ce sujet, on est en droit de remarquer que cet apprentissage naturel nécessite la présence d’un modèle : l’adulte qui marche debout. L’histoire cite quelques exemples d’enfants sauvages, élevés par des animaux : ces enfants marchent à quatre pattes !
Le développement des connaissances psychologiques sur les apprentissages naturels va influencer non seulement l’enseignement scolaire, mais aussi les méthodes éducatives privées : la mode de l’ « enfant-roi » s’est nourrie à la même mamelle.

3. EVM : paroxysme vaudois de la révolution pédagogique
Progressivement, les théories socioconstructivistes vont modifier l’enseignement dans nos écoles. « Maîtrise du français », dans les années 80, en constitue une application directe.
A la fin du XXe siècle, les Cantons romands, à des degrés divers, vont connaître – sous la double influence de volontés politiques orientées à gauche et des nouvelles modes pédagogiques d’inspiration socioconstructiviste - une véritable révolution de l’instruction publique. Dans le Canton de Vaud, c’est EVM (Ecole Vaudoise en Mutation) qui, en 1996, va en marquer le paroxysme. Aucune règle n’est enseignée directement à l’enfant, qui doit les découvrir par soi-même. Tout travail de mémorisation est proscrit. L’exercice, avec son caractère répétitif, est aboli au profit d’ « activités » diverses, si possible ludiques. On ne progresse plus du simple au complexe : l’enfant est placé d’emblée « en situation », c’est-à-dire dans une situation complexe qui le désoriente et face à laquelle, déséquilibré, il est censé construire par lui-même les outils lui permettant de s’en sortir. L’enseignant est appelé à « suivre la progression de l’élève » plus qu’à la guider.
Les principes de l’évaluation sont modifiés fondamentalement : on n’évalue plus l’enfant par rapport à une norme extérieure, mais par rapport à sa propre progression. Pour le « parcours scolaire », promotion et orientation, le profil psychologique (établi sur la « page de gauche » du livret scolaire) prend l’ascendant sur les résultats du travail de l’enfant.
Pour y parvenir, la note doit être abolie.
Le caractère proprement révolutionnaire d’EVM apparaît dans les manuels. Comme d’autres révolutions ont symboliquement brûlé les livres anciens, EVM a fait brutalement et matériellement disparaître tous les ouvrages précédents : il importait que les enseignants et les parents n’aient aucun moyen de revenir aux méthodes anciennes et condamnées comme hérésie !
Il apparaît aussi sur une forme de terrorisme qui imprégna le monde de l’école : les malheureux enseignants qui n’adhéraient pas à la nouvelle religion pédagogique étaient persécutés ou contraints au silence.

4. Le combat des notes
C’est la suppression de la note, qui n’était pourtant qu’un élément accessoire de cette révolution dogmatique, qui cristallisa l’opposition politique. En 2001, nous lancions, dans le Canton de Vaud, une initiative populaire pour le rétablissement des notes à l’école. En attaquant EVM par son aspect à la fois le plus symbolique et le plus facile à rédiger sous forme d’article de loi, nous savions que nous allions ébranler profondément toute la logique d’EVM. Rapidement, le mouvement s’étendit au Canton de Genève. En imposant le retour aux notes, la classe politique a contribué à détrôner la nomenklatura pédagogiste qui, depuis quelques décennies, oeuvrait sans contre-pouvoir à transformer l’école publique. La chapelle n’a pas disparu ; quelques grands prêtres du socioconstructivisme continuent à célébrer leur culte, notamment dans nos Hautes écoles pédagogiques, mais ils ont perdu de leur exclusivité au profit d’une approche plus ouverte des diverses pratiques d’enseignement.
L’examen attentif de la Loi sur l’enseignement obligatoire LEO (adoptée en 2012 par le Grand Conseil vaudois) détectera de nombreux articles qui constituent objectivement une abolition des principes pédagogiques d’EVM.

B. Préparer l’enfant à affronter la liberté

Une société libérale ne se décrète pas : il ne suffit pas d’en affirmer le principe dans une Constitution. Il ne suffit pas non plus d’éliminer un dictateur, comme l’histoire récente nous le démontre dans quelques pays arabes. Une société libérale se construit de bas en haut, par une culture de la liberté. Et pour s’y insérer, le jeune adulte doit y avoir été préparé. Il est donc essentiel, pour des libéraux, que l’école ne se préoccupe pas tant de l’épanouissement des élèves que d’en faire des adultes préparés à la liberté.

1. Distinguer le succès de l’échec
La liberté laissée à l’individu l’expose à l’échec. Le risque d’échec fait partie intégrante des choix individuels ; il est le revers de la chance de succès. Pour ne pas s’effondrer face à une première adversité – qu’il s’agisse d’un échec universitaire ou d’un échec professionnel - l’individu doit avoir été exercé à distinguer le succès de l’échec dès son enfance.
Les réformes scolaires se sont fixé pour objectif la suppression de l’échec. C’est dans cet esprit qu’elles se sont employées à évaluer la progression de l’élève par rapport à soi-même plutôt que de définir s’il a ou non atteint un objectif. On a tenté de supprimer le redoublement.
Il y a dans cette démarche une forme de tromperie. Il faut oser placer l’enfant devant le résultat de son travail : s’il est insuffisant, on doit d’abord lui apprendre à discerner sa propre responsabilité face à l’échec. La première question qu’il doit se poser, ce n’est pas « Qu’est-ce que l’école peut faire pour m’aider ? », mais « Que puis-je faire par mon travail pour atteindre le succès ? ».
A ce sujet, on relèvera que l’évaluation a longtemps consisté à compter les fautes. On a décidé qu’il fallait inverser les choses et comptabiliser ce qui est juste. Certes. Mais dans la vie, c’est pourtant bien l’inverse qui se produit. Dans tous les métiers, ce sont sur leurs fautes que les individus sont sanctionnés, et non sur les nombreux actes corrects qu’ils sont jugés.
La LEO, en 2012, a rétabli la règle selon laquelle un élève en situation d’échec n’est pas promu sans condition au degré supérieur. Par là, elle prépare l’élève à distinguer le succès de l’échec. Guider ensuite l’élève pour lui permettre de surmonter l’échec et éviter qu’il en soit anéanti est indispensable. Mais cela ne passe pas par une négation de l’échec.

2. Se situer par rapport aux autres
L’individu vit en société. Constamment il est contraint de se comparer aux autres. Cette comparaison, qui signifie une émulation voire une compétition, constitue d’ailleurs le plus souvent un excellent moteur pour pousser l’être humain à progresser et à s’améliorer. Naturellement, l’enfant est d’ailleurs à tout moment porté à se comparer aux autres.
En supprimant la note, les rénovateurs de la pédagogie ont voulu supprimer la possibilité pour l’enfant de se comparer à ses camarades. La pression politique ayant rétabli les notes, on a toutefois interdit la moyenne de classe, qui permet de situer l’élève par rapport à l’ensemble de ses camarades.
Il s’agissait d’éviter de traumatiser des enfants qui se retrouveraient systématiquement parmi les plus faibles. C’est d’ailleurs un des effets pervers des classes hétérogènes, qui se sont progressivement imposées sous la pression des penseurs égalitaristes.
Prenons l’exemple d’un camp de ski. Au début du camp, on fait descendre aux skieurs un petit parcours qui permet de constituer trois groupes : les faibles, les moyens et les forts. Au terme du camp, chaque groupe effectue une compétition. Dans chaque groupe, un skieur décroche la première place, y compris dans le groupe des faibles. Mais évidemment, si les groupes avaient été hétérogènes, les plus faibles n’auraient eu aucune chance de gagner.
Préparer l’enfant à un monde de liberté, c’est l’habituer à la comparaison. Mais l’école doit veiller à le placer en situation d’être comparé avec ses semblables. On en est très loin dans nos écoles publiques qui refusent toute sélection et appliquent presque jusqu’à la fin de la scolarité le principe du collège unique prôné par…Langevin-Wallon !

3. Identifier les règles
La pédagogie socioconstructiviste a voulu supprimer l’enseignement de règles. Il convenait, dans sa logique, que l’enfant les découvre par soi-même. Politiquement, cette démarche visait à faire disparaître autant que possible les règles d’une société bourgeoise qu’on cherchait à détruire.
La vie pourtant obéit à des règles. Certaines répondent à une logique, mais d’autres ne sont que des usages. Il est indispensable, pour entrer dans la société des adultes, d’en connaître les règles et les usages. Cela n’empêche ni de les transgresser, ni de les modifier, mais il est nécessaire d’abord de les connaître.
Dans ce sens, l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire constitue un domaine éducatif par excellence. La langue obéit à des règles, que la raison peut expliquer, et des usages, qu’aucune logique ne justifie. Pourquoi deux « r » à charrette et un seul à chariot ? Usage.
La vie en société, et la vie elle-même, obéit à des règles. On ne voit pas au nom de quel dogmatisme pédagogique il serait profitable à l’enfant de découvrir les règles par l’expérience : est-il souhaitable que l’enfant doive faire acte de violence à l’endroit d’un camarade pour « découvrir » que la violence expose à une sanction ou à la haine ?
Sur le plan pédagogique, on doit aussi parler d’efficacité. Enseigner à l’enfant une règle en français, en mathématique ou en allemand, puis l’exercer à appliquer la règle, est infiniment plus efficace que de le laisser la découvrir au travers d’activités diverses et complexes. Et tout particulièrement pour des élèves moins doués, qui ne sont tout simplement pas capables de faire ces précieuses « découvertes ».
L’homme libre est celui qui, connaissant les règles, décide, en pleine connaissance de cause, s’il entend les respecter ou les transgresser. C’est aussi vrai dans les arts. Picasso ou Miro, qui se sont diamétralement opposés à certaines règles picturales, ont d’abord appris à les maîtriser !

4. S’appuyer sur des bases et des références
La pédagogie socioconstructiviste considérant que l’enfant développe son intelligence sur la base de ses propres expériences, on a retiré de l’enseignement toute idée de progression dirigée par l’enseignant. Le concept de connaissances de bases – qui constitue un choix imposé de l’extérieur – a été aboli. On a également retiré les ouvrages dits « de référence », qui comportaient le risque que l’élève les préfère à son apprentissage naturel. La mode des feuilles volantes replaçant les manuels scolaires exprimait de façon concrète ce refus des bases et des références. Ces bases et ces références, évidemment, constituent par essence un héritage du passé et contribuent à cette continuité que les révolutionnaires de la pédagogie ont tenté d’abolir.
Il en est pourtant des bases et des références comme il en est des règles. Des bases solides et des références permettent à l’individu de développer ses propres compétences sans se laisser désorienter. Elles lui permettent, en cas de difficulté, de s’appuyer sur des éléments fermes, à partir desquels il est capable de comprendre ses propres erreurs et de reprendre sa route.

5. Hiérarchiser l’essentiel et l’accessoire
Dans la même logique socioconstructiviste, on a tenté de supprimer toute hiérarchie des connaissances. Cette hiérarchie, elle aussi, constitue une structure transmise à l’enfant et opposée à la théorie de l’apprentissage naturel : à chacun de découvrir ce qui est important pour soi-même.
C’est ainsi qu’on a supprimé des programmes la notion de branches principales et de branches secondaires. Les traditionalistes continuent à affirmer que la première mission de l’école est d’apprendre à lire et à compter. Mais les tenants de la nouvelle pédagogie s’y sont opposés. « Qu’est-ce qui vous permet de prétendre que les mathématiques sont plus importantes que l’histoire ? » demandait une députée vaudoise travaillant à la nouvelle loi scolaire…
Le projet PECARO (Plan d’Etude CAdre ROmand) qui fut heureusement abandonné, appliquait de façon caricaturale se refus de hiérarchie. Puisque toutes les disciplines d’enseignement sont de même importance, mais qu’il faut bien définir un ordre de présentation, on avait choisi…l’ordre alphabétique. PECARO commençait donc par A = Arts !
Fort heureusement, le PER (qui lui a succédé et qui a été adopté) a corrigé cette ineptie et commence par « Langues » puis « Mathématiques ».
Ce refus de hiérarchiser s’inscrivait d’ailleurs assez bien dans le relativisme dominant dès Mai 68 : « Chacun sa route, chacun son destin… ». Distinguer le bien du mal, fondement de toute morale, relevait aussi des héritages dont il convenait de se débarrasser.
Et c’est pourtant bien l’un des fondements de la liberté : distinguer l’essentiel de l’accessoire est indispensable à toute activité d’homme ou de femme libre. C’est indispensable à l’exercice de toute profession. On démontrera aisément que tous les individus qui se laissent déborder et écraser par leur profession ou par les circonstances de la vie sont des gens qui ne sont plus parvenus à distinguer l’essentiel de l’accessoire. On ne prépare pas des individus à la liberté en ne leur apprenant pas, dès l’école, à hiérarchiser ! Ceci est d’autant plus vrai qu’Internet met à disposition de chacun toute connaissance et toute information : seuls des outils intellectuels de hiérarchisation permettent de s’en servir et non d’y être asservi.

6. Maîtriser la langue écrite
Une des grandes idées des révolutionnaires scolaires a été de « privilégier l’oral ». L’apprentissage naturel conduit évidemment d’abord à l’expression orale : le petit enfant a besoin de communiquer avec son entourage et, pour cela, a besoin de développer le langage parlé. On a donc développé un enseignement des langues – que ce soit le français ou les autres langues – privilégiant l’expression orale, au prix d’un certain dédain pour la langue écrite, qui était d’ailleurs présentée comme une forme plutôt archaïque réservée à une élite (bourgeoise, bien sûr…)
Le malheur, pour les enfants élevés dans cette conception, c’est que c’est bien de la langue écrite qu’ils vont avoir besoin dans toutes les étapes importantes de leur vie, à commencer par les offres d’emploi. Dans presque toute profession, les éléments importants nécessitent une rédaction écrite. La maîtrise de la langue écrite est un pouvoir. Pas seulement dans le cadre professionnel.
En politique, lieu par excellence de l’exercice d’un pouvoir, celui qui est incapable de rédiger un article ou un rapport est un impuissant. Et même lorsqu’il s’agit d’un discours : à moins d’en avoir une assez longue expérience qui permet d’improviser, personne n’est capable d’exprimer une idée claire, un raisonnement bien construit, un argumentaire précis s’il ne l’a pas d’abord rédigé par écrit. Considérer que l’écrit est secondaire, c’est préparer les individus à des positions de faiblesse et d’infériorité, donc les priver de liberté.

C. Conclusion libérale

Préparer l’enfant à affronter la liberté : un programme pour les libéraux
Nous sommes en 2016, heureusement, et vingt ans se sont écoulés dans le Canton de Vaud depuis les ténèbres pédagogiques d’EVM. Dans les buts que la LEO fixe à l’école publique figure « l’exercice au travail et à l’effort ». On a réintroduit des notes ; on sanctionne l’échec ; on distingue les branches principales des branches secondaires. Des manuels ont été imprimés, qui comportent une progression et des règles. La promotion et l’orientation se font sur les résultats du travail de l’élève et non plus sur cette fameuse « page de gauche » du livret scolaire, laquelle n’était qu’une forme de bilan psychologique. On admet que, pour les élèves les plus faibles, on puisse s’éloigner du plan d’étude pour privilégier « lire, écrire et compter ».
Mais il serait illusoire d’en déduire, pour autant, que l’école publique prépare volontairement l’enfant à affronter la liberté. De nombreux jeunes entrent dans la vie adulte en mal de repères ; ils sont désorientés. Ils n’ont d’autre recours que l’appel au secours : appel au psychiatre, appel à divers médicaments antidépresseurs. Appel souvent à l’illusion de la drogue. C’est aussi à cette aune que l’histoire devrait juger les artisans de nos réformes scolaires et éducatives !
Ce n’est pas un hasard. Les milieux de la pédagogie sont largement dominés par des penseurs de gauche ; pour eux, l’objectif est l’égalité, voire l’indifférenciation des individus. Ils se méfient de la liberté, qu’ils ressentent surtout comme une menace pesant sur les individus les plus faibles.
Les libéraux, obsédés par les questions économiques et financières, ont souvent déserté le champ des humanités et négligé la préparation des enfants à une société de liberté. Quand ils parlent de formation, ils n’entrent guère dans les détails, se contentant de dire qu’il faut donner suffisamment de moyens financiers à l’enseignement, à tous les niveaux, pour garantir la pérennité de notre miracle économique. Comme si l’enjeu était essentiellement financier.
Nous devons aller plus loin, nous intéresser à ce qui se passe dans les écoles. Convaincus et fiers des bienfaits qu’une société libérale apporte à ses membres, nous avons la responsabilité d’y préparer nos enfants ; de les armer - osons le mot – pour cette liberté que nous appelons de nos vœux. L’école publique ne saurait être abandonnée à des professionnels, même bien formés. Elle est toujours portée par une vision idéologique. A nous, libéraux, de l’imprégner de nos valeurs.

Jacques-André Haury




 

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