Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
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Le sacerdoce universel, fondement de la démocratie

Paru dans La Revue des Cèdres n°44 le 18 janv. 2016

« Instaurer un régime démocratique » : tel est l’objectif de la communauté internationale lorsqu’elle décide d’intervenir dans un pays pour renverser le régime dictatorial en place. Mais un « régime démocratique », c’est quoi ?

Beaucoup répondront qu’un régime démocratique est un régime dans lequel les autorités sont élues par le peuple : nous allons voir qu’ils sont loin du compte. Les observateurs plus subtils remarquent que les pays dans lesquels la démocratie fonctionne bien sont les pays qui ont été marqués par la Réformation.*

Tout repose sur le sacerdoce universel. C’est un des principes fondateurs du protestantisme. Il affirme l’égalité de tous les baptisés dans la mission évangélique. De fait, il supprime l’organisation hiérarchique de l’Eglise pour lui suppléer des communautés paroissiales. D’une conception théologique est née une organisation sociale qui marque profondément les sociétés issues de la Réformation.

Pour bien comprendre la portée du sacerdoce universel, on peut observer la communauté darbyste, qui le pousse à une application extrême. Réunis en « assemblées », les darbystes n’ont pas de ministre : l’un des membres exerce cette fonction : c’est le « frère en charge ». Et si vous entrez dans le local que les darbystes de Lausanne occupent aux Trois-Rois, vous remarquerez une autre caractéristique : sur le sol, un marquage désigne la place de chaque banc. Pour quelle raison ? Pour que chaque membre de la communauté soit capable de remettre le local en bon ordre, car il n’y a pas de concierge. Pas de ministre pour diriger le culte, pas de concierge pour ranger la salle ; chacun est égal dans la mission évangélique. Chacun emploie à sa place les forces qui lui sont données pour faire fonctionner la communauté, sans prétendre que tous aient reçu les mêmes dons. C’est l’application concrète du sacerdoce universel !

Cette organisation non hiérarchisée des communautés protestantes ne peut fonctionner qu’à deux conditions. La première, c’est le sens de la responsabilité individuelle : puisqu’il n’y a pas de hiérarchie pour définir ce qui est bien ou ce qui est mal, chaque individu a la responsabilité de le rechercher par soi-même et d’employer toute son énergie à y parvenir. La seconde, c’est la confiance : puisqu’elle n’a a pas d’autorité supérieure pour lui montrer le chemin, la communauté doit appliquer le principe d’une égale confiance accordée à chacun de ses membres.

C’est là que réside le cœur du fonctionnement démocratique d’une société : la confiance.

La confiance est accordée d’abord à l’individu ; chaque fois que l’autorité politique restreint la liberté individuelle, elle traduit dans la loi une perte de confiance dans les individus. La confiance est accordée aux communautés intermédiaires. Accorder du pouvoir aux communes, aux cantons est une expression de cette confiance. A l’inverse, la concentration du pouvoir à la tête d’un Etat centralisé exprime toujours une méfiance à l’endroit des pouvoirs locaux. Il est intéressant de noter que, à la chute du régime nazi, une des premières démarches entreprises par la République fédérale d’Allemagne fut de redonner du pouvoir aux Länder ! La confiance est encore accordée aux organisations professionnelles, chargées de s’entendre pour faire fonctionner les entreprises et le marché du travail.

Dans cette organisation démocratique dérivant de l’esprit du sacerdoce universel, la position du dirigeant a des caractéristiques propres. L’élu assume non pas un pouvoir personnel, mais une responsabilité déléguée par la communauté. Dans sa fonction, le pouvoir ne l’enrichit pas, mais le dédommage pour le service rendu. Et l’élu ne saurait céder à la corruption, puisqu’il se met au service de la collectivité dont il est un membre parmi les autres. En échange, la communauté est modérée dans ses critiques : elle respecte celui qui a accepté de se mettre au service des autres.

Dans les démocraties issues de la Réformation, le peuple, c’est-à-dire la communauté des citoyens, conserve un large pouvoir. Ce peut être sous la forme de la démocratie directe, comme en Suisse. Mais c’est surtout le pouvoir du parlement qui est déterminant. Max Weber écrivait : « Comment rendre le parlement capable de puissance ? Tout le reste n’est qu’accessoire. » L’observation du fonctionnement des Etats est révélatrice de leur degré de démocratie. Aux Etats-Unis, par exemple, le Président doit constamment composer avec le Congrès dont il redoute qu’il ne contrecarre ses projets politiques. A l’opposé, en France, le gouvernement dispose du fameux article 49.3 qui permet de passer en force un projet de loi sans l’aval du parlement. On ne peut pas parler de fonctionnement démocratique lorsque le gouvernement n’est pas constamment en situation d’être désavoué par le parlement. C’est aussi une expression de la confiance accordée aux individus et à leurs représentants.

Si les Réformés entendent contribuer à faire de la Réformation un héritage utile, ils seraient bien inspirés de se souvenir du bouleversement social qu’a produit, au fil des ans, le principe du sacerdoce universel. Ce bouleversement ne s’est bien sûr pas opéré d’un coup : la Genève de Calvin n’exprimait pas en tout point la confiance faite à l’individu… Mais le terreau était ensemencé. Prétendre imposer un régime démocratique dans des sociétés qui ne font aucune confiance à l’individu et dans lesquels l’accession au pouvoir vise des avantages personnels est illusoire, voire destructeur. C’est toute une conception de la responsabilité de l’individu dans la communauté, de sa mission personnelle, qui permet l’éclosion de la démocratie.

Cette responsabilité individuelle suppose l’existence de règles morales : aux Eglises de les rappeler. Non pas un catalogue de rites contraignants, mais la recherche d’un comportement général profitable à la communauté, à la lumière de l’Evangile. Le sacerdoce universel engage chacun !



* Cette observation constitue le cœur du Mal français, ouvrage d’Alain Peyrefitte publié en 1977 : ce ministre français, lui-même catholique, tente de comprendre pourquoi la démocratie fonctionne si mal en France alors qu’elle semble fonctionner si bien dans les pays réformés.




 

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