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PÉDAGOGIE
La controverse qui explique le malaise de l’école vaudoise
Paru dans 24 Heures le 18 mars 2005
Le député médecin libéral Jacques-André Haury, père de l’ancienne initiative sur les notes, et le formateur de maîtres Marc-Alain Berberat, prof à la Haute Ecole pédagogique, croisent le fer. Point de friction: la doctrine EVM que le docteur qualifie d’escroquerie intellectuelle.
Le libéral Jacques-André Haury a récemment attaqué dans nos colonnes (24 heures du 2 mars) les fondateurs de la réforme Ecole vaudoise en mutation (EVM) en mettant en cause une doctrine pédagogique dite «constructiviste», perçue comme un véritable danger pour les élèves. La charge du député médecin a fortement choqué le milieu scolaire. Marc-Alain Berberat, formateur à la Haute Ecole pédagogique vaudoise, spécialisé dans les sciences de l’éducation, fait partie de ceux qui se sont vertement inscrits en faux contre les propos de Jacques-André Haury. Interview croisée dans l’objectif d’y voir un peu plus clair.
Pouvez-vous définir précisément ce que vous entendez par «pédagogie constructiviste»?
Jacques-André Haury – C’est la pédagogie sans règles. C’est une théorie qui prétend que l’enfant parvient à «construire», justement, ses connaissances uniquement par ce qu’il a observé ou découvert, mais pas par ce qui lui a été transmis directement par le maître.
Marc-Alain Berberat – Pour moi, il n’y a pas une pédagogie constructiviste; il y a beaucoup d’approches dans la maison du constructivisme. Mais l’idée de base est que l’on part des acquis des élèves, des savoirs déjà présents, et que l’on cherche les meilleures stratégies pour développer la connaissance. L’esprit de l’enfant n’est pas table rase. Des expériences démontrent que si ces acquis sont ignorés, on ne peut enseigner des contenus au moyen de simples exposés: ça ne tient pas.
Ce type de pédagogie est-il pratiqué de manière exclusive dans les classes vaudoises?
J.-A. H. – EVM est une réforme de la pédagogie exclusivement constructiviste, oui. Elle a imposé aux enseignants des méthodes inspirées de cette pédagogie sans règles. On le voit notamment dans les manuels, à travers le vocabulaire utilisé, où l’on remplace les «exercices» par des «activités», l’«apprentissage» par l’«observation».
M.-A. B. – Je visite des classes vaudoises depuis une dizaine d’années, donc avant et après EVM. Je n’ai pas vu de changements essentiels. Je vois toujours des profs qui préfèrent dispenser un enseignement frontal (n.d.l.r.: le maître parle, les élèves écoutent), d’autres qui essayent davantage de partir des connaissances de leurs élèves et j’en vois aussi qui ont mal compris certaines approches, qui oublient qu’il ne suffit pas de résoudre des problèmes ou de faire ce que l’on appelle un «rallye scientifique» pour que les élèves puissent utiliser après les connaissances qu’ils ont développées à l’école.
Peut-on dire que la pédagogie d’aujourd’hui est un échec?
M.-A. B. – Disons qu’il y a des conceptions liées aux sciences cognitives qui n’ont peut-être pas bien passé. Il n’y a pas d’échec, car on parlerait alors d’un échec partout, à Genève, en France, en Allemagne. Il y a des problèmes de mise en œuvre ou d’incompréhension de la part de certains collègues. On parlait ce matin avec mes étudiants de l’apprentissage coopératif et je leur faisais inventorier les difficultés de mise en place. Je leur ai dit que s’ils n’avaient qu’une seule heure de cours par semaine dans une classe, c’est une perte de temps que de faire de l’apprentissage coopératif. Mais encore une fois, pour moi la pédagogie constructiviste ce n’est pas forcément ces pratiques nouvelles comme l’apprentissage par groupe ou la stabulation libre ainsi qu’on l’appelait dans le Jura dans les années 70. A cette époque, on a voulu introduire la pédagogie institutionnelle non directive. Tout cela n’est pas si simple.
J.-A. H. – Moi j’observe que tous les indicateurs que nous avons de l’effet des réformes sont négatifs. L’objectif social n’est pas atteint, tous les objectifs d’enseignement vont, dans leur niveau, en se dégradant. Les réformes ont été menées au nom de l’égalité des chances et c’est à cette enseigne que l’on a introduit ces modifications pédagogiques. Je regrette, monsieur Berberat, vous ne voulez pas que je les désigne comme constructiviste, mais je ne trouve pas tout à fait honnête de refuser la filiation avec une théorie pédagogique. L’examen des termes mêmes qu’on a dans les programmes scolaires révèle bien que ce que je dis n’est pas une invention.
M.-A. B. – Je regrette que quelqu’un qui a votre niveau de formation ne puisse pas sortir de l’idée qu’il n’y ait qu’une voie: le constructivisme. Non, il y a des mises en œuvre de pédagogies. Depuis la directivité jusqu’au laisser-faire, qu’on peut observer dans certaines classes, ce sont beaucoup d’approches. Alors je vous dénie le droit de mettre une filiation dans ces différentes démarches! Moi je ne m’immisce pas dans votre domaine, bien que j’aie potassé des bouquins de médecine après un accident de santé. Maintenant, sur l’égalité des chances, oui, le système vaudois à trois filières (n.d.l.r.: voies secondaires à options, générale et de baccalauréat) a accru l’inégalité des chances.
J.-A. H. – Dire cela est malhonnête, je suis navré! Le système vaudois a pénalisé les élèves les plus faibles à cause de sa pédagogie constructiviste!
Vous avez, M. Haury, parlé d’escroquerie intellectuelle et accusé les réformateurs scolaires d’avoir délibérément choisi une pédagogie reconnue comme perdante. Quels seraient leurs motifs?
J.-A. H. – Je pense qu’il y a parmi ceux qui ont fait ces choix un certain nombre de carriéristes qui, grâce à cette espèce d’auréole que donne la diffusion d’idées nouvelles, ont progressé dans la hiérarchie de l’instruction publique. Et il y a aussi les naïfs qui pensent que le simple fait d’un changement améliore les choses.
M.-A. B. – Les idées dont vous parlez ne sont pas dépassées. Dans certaines institutions d’enseignement supérieur elles arrivent juste maintenant…
Au fond, l’école vaudoise est plus mavaise qu’une autre?
M.-A. B. – En comparaison avec tout ce que j’ai vu dans les autres cantons et pays, j’ai l’impression d’un manque d’autonomie des enseignants par rapport aux manuels et aux méthodes.
J.-A. H. – Non. Elle est moins bonne que ce que j’aimerais qu’elle soit. Elle est moins bonne que ce qu’elle pourrait être avec les moyens que lui consacrent les Vaudois.
Lise Bourgeois
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