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RENTRÉE
Compétences contre connaissances: la nouvelle guerre scolaire est ouverteParu dans Le Temps le 23 août 2004 Le philosophe Jean Romain et le libéral Jacques-André Haury ne veulent pas du plan d'étude cadre romand Pecaro. A peine la querelle des notes à l'école – presque – évacuée qu'une guerre scolaire plus fondamentale semble s'engager. Avec les mêmes protagonistes. L'enjeu: le nouveau plan d'étude cadre romand Pecaro. Si personne ne s'oppose à une harmonisation des programmes scolaires, le contenu de l'enseignement et, surtout, la philosophie qui le sous-tend sont au cœur d'une controverse fondamentale sur l'école. En résumé le débat est clair: faut-il une école qui apprenne à apprendre ou un enseignement qui inculque d'abord des connaissances. La première salve a été tirée dans le canton de Vaud, où une interpellation a déjà été déposée au Grand Conseil. Pour le philosophe Jean Romain, Pecaro est une «usine à gaz» au jargon incompréhensible et imprégné de socio-constructivisme. L'harmonisation des plans d'étude romands a rouvert la boîte de Pandore des savoirs scolaires. Une interpellation parlementaire est d'ores et déjà déposée dans le canton de Vaud. Au cœur de la dispute figure la définition même de l'enseignement. Les professeurs doivent-ils d'abord apprendre à apprendre, comme le martèlent les partisans de la réforme? Ou doivent-ils plutôt inculquer des connaissances, comme ne cessent de le répéter ses adversaires? La joie de la patronne des écoles vaudoises Anne-Catherine Lyon, qui parlait la semaine dernière d'un terrain politique scolaire «déminé», s'annonce de courte durée. Si la guerre des notes s'est achevée sur un armistice salué jusqu'à Genève – où il devrait faire école – un autre affrontement est programmé, qui menace d'embraser tous les cantons romands. Les premières salves ont déjà été tirées. L'enjeu n'est autre que le plan d'étude cadre romand, couramment abrégé Pecaro. Un pavé de quelque 400 pages, pivot de l'harmonisation des scolarités des cantons concernés, présenté publiquement en janvier dernier, et dont la mise en consultation s'achève le 1er septembre. Pour ses opposants, en tête desquels on retrouve le philosophe genevois Jean Romain et le député libéral vaudois Jacques-André Haury, le document doit tout simplement «repartir de zéro». Ce qui lui est reproché? Tout miser sur les compétences, les décrire par le menu, y compris celles qui relèvent de l'éducation et non de l'enseignement, détailler leur acquisition, mais tourner le dos aux connaissances. «Pourquoi n'est-il pas possible, par exemple dans le domaine des langues, de dire tout simplement qu'après quatre ans d'anglais, l'élève doit arriver à tel niveau, de surcroît défini et reconnu internationalement?» interroge Jacques-André Haury. «Le Pecaro est une usine à gaz, un pavé théorique et abscons réservé aux spécialistes familiarisés avec son jargon, et tout imprégné de socio-constructivisme» accuse Jean Romain. Sur le fond, la querelle n'est pas neuve. Le socio-constructivisme est cette doctrine qui traverse la pédagogie moderne depuis Piaget, postule que l'activité de l'enfant est nécessaire pour qu'il s'éduque, et s'articule autour de la construction de savoirs. En gros, confronté à un problème trop dur pour lui, l'enfant va chercher auprès du maître ce dont il a besoin pour le résoudre. Elle est au cœur de tous les déchirements sur les réformes scolaires, dans les cantons de Vaud et de Genève mais aussi à l'étranger et notamment en France. Pour Jean Romain: «En soi, c'est une idée géniale, mais elle est hyperélitiste car beaucoup d'élèves ne repèrent pas la faille, et le constructivisme ne marche pas pour tout.» Et de citer notamment les livrets, acquis seulement par la répétition. Les défenseurs du Pecaro s'insurgent contre une telle lecture de leur travail. Pour Olivier Maradan, ancien chef du projet, qui en avait assuré la présentation aux médias au début de cette année, le débat des compétences contre les connaissances ainsi rouvert est «une vieille lune». Il oppose le Pecaro aux programmes par objectifs qu'il reproche d'avoir mené à l'atomisation des savoirs: «Travailler par compétence, c'est montrer des choses complexes qu'un élève doit maîtriser au bout d'un cycle. Mais pour gérer un certain type de problèmes, par exemple en mathématiques, il faut bien entendu connaître les formules qui s'y rapportent.» Pour lui, le Pecaro ne fait pas l'impasse sur les connaissances: «Mais on n'apprend pas l'orthographe pour elle-même, mais bien parce qu'il s'agit d'un outil.» Les deux camps sont inconciliables. On s'étripe sur les apprentissages par cœur, la place des savoirs de base (orthographe, calcul), l'éducation, l'enseignement. Chacun brandit à sa manière l'égalité des chances. La seule chose sur laquelle les uns et les autres soient d'accord est la nécessité d'une harmonisation romande. «On a besoin d'un plan commun qui dise ce que les élèves doivent connaître» insiste Jacques-André Haury. Ce qui ne sera certainement pas pour demain vu l'ampleur de l'affrontement qui commence. Du côté des politiciens vaudois, l'impression de s'être fait confisquer par des spécialistes les contenus scolaires – après s'être déjà fait imposer sans débat les appréciations – a fâché. Devant l'objectif de donner au Pecaro un rang concordataire, qui suppose que chaque parlement se dessaisisse d'une partie de ses compétences, il y a déjà eu des réactions. L'affrontement sera musclé. Du côté des syndicats d'enseignants, le Pecaro a été plutôt bien reçu. «Nous y sommes très favorables» note le président de la société pédagogique vaudoise Jacques Daniélou, en jugeant l'approche choisie «très positive». Et de placer sans hésiter ce défi-là avant le chantier de la mise en place réglementaire du contre-projet sur les notes. Alors que les réformes n'ont pas prouvé leur efficacité dans la lutte contre les inégalités scolaires, que PISA questionne l'efficacité des écoles helvétiques et que les échecs à la maturité explosent, le débat sur les savoirs annonce un tonitruant retour sur la scène politique. La joie de la patronne des écoles vaudoises Anne-Catherine Lyon, qui parlait la semaine dernière d'un terrain politique scolaire «déminé», s'annonce de courte durée. Si la guerre des notes s'est achevée sur un armistice salué jusqu'à Genève – où il devrait faire école – un autre affrontement est programmé, qui menace d'embraser tous les cantons romands. Les premières salves ont déjà été tirées. L'enjeu n'est autre que le plan d'étude cadre romand, couramment abrégé Pecaro. Un pavé de quelque 400 pages, pivot de l'harmonisation des scolarités des cantons concernés, présenté publiquement en janvier dernier, et dont la mise en consultation s'achève le 1er septembre. Pour ses opposants, en tête desquels on retrouve le philosophe genevois Jean Romain et le député libéral vaudois Jacques-André Haury, le document doit tout simplement «repartir de zéro». Ce qui lui est reproché? Tout miser sur les compétences, les décrire par le menu, y compris celles qui relèvent de l'éducation et non de l'enseignement, détailler leur acquisition, mais tourner le dos aux connaissances. «Pourquoi n'est-il pas possible, par exemple dans le domaine des langues, de dire tout simplement qu'après quatre ans d'anglais, l'élève doit arriver à tel niveau, de surcroît défini et reconnu internationalement?» interroge Jacques-André Haury. «Le Pecaro est une usine à gaz, un pavé théorique et abscons réservé aux spécialistes familiarisés avec son jargon, et tout imprégné de socio-constructivisme» accuse Jean Romain. Sur le fond, la querelle n'est pas neuve. Le socio-constructivisme est cette doctrine qui traverse la pédagogie moderne depuis Piaget, postule que l'activité de l'enfant est nécessaire pour qu'il s'éduque, et s'articule autour de la construction de savoirs. En gros, confronté à un problème trop dur pour lui, l'enfant va chercher auprès du maître ce dont il a besoin pour le résoudre. Elle est au cœur de tous les déchirements sur les réformes scolaires, dans les cantons de Vaud et de Genève mais aussi à l'étranger et notamment en France. Les défenseurs du Pecaro s'insurgent contre une telle lecture de leur travail. Pour Olivier Maradan, ancien chef du projet, qui en avait assuré la présentation aux médias au début de cette année, le débat des compétences contre les connaissances ainsi rouvert est «une vieille lune». Il oppose le Pecaro aux programmes par objectifs qu'il reproche d'avoir mené à l'atomisation des savoirs: «Travailler par compétence, c'est montrer des choses complexes qu'un élève doit maîtriser au bout d'un cycle. Mais pour gérer un certain type de problèmes, par exemple en mathématiques, il faut bien entendu connaître les formules qui s'y rapportent.» Pour lui, le Pecaro ne fait pas l'impasse sur les connaissances: «Mais on n'apprend pas l'orthographe pour elle-même, mais bien parce qu'il s'agit d'un outil.» Et c'est ainsi qu'en langues, à la fin du premier cycle (2e primaire) le plan donne aux élèves l'objectif de «lire et écrire en français des textes courts, d'usage familier et scolaire, et s'approprier le système de la langue écrite». Les deux camps sont inconciliables. On s'étripe sur les apprentissages par cœur, la place des savoirs de base (orthographe, calcul), l'éducation, l'enseignement. Chacun brandit à sa manière l'égalité des chances. La seule chose sur laquelle les uns et les autres soient d'accord est la nécessité d'une harmonisation romande. «On a besoin d'un plan commun qui dise ce que les élèves doivent connaître» insiste Jacques-André Haury. Ce qui ne sera certainement pas pour demain vu l'ampleur de l'affrontement qui commence. Du côté des politiciens vaudois, l'impression de s'être fait confisquer par des spécialistes les contenus scolaires – après s'être déjà fait imposer sans débat les appréciations – a fâché. Devant l'objectif de donner au Pecaro un rang concordataire, qui suppose que chaque parlement se dessaisisse d'une partie de ses compétences, il y a déjà eu des réactions. L'affrontement sera musclé. Du côté des syndicats d'enseignants, le Pecaro a été plutôt bien reçu. «Nous y sommes très favorables» note le président de la société pédagogique vaudoise Jacques Daniélou, en jugeant l'approche choisie «très positive». Et de placer sans hésiter ce défi-là avant le chantier de la mise en place réglementaire du contre-projet sur les notes. Alors que les réformes n'ont pas prouvé leur efficacité dans la lutte contre les inégalités scolaires, que PISA questionne l'efficacité des écoles helvétiques et que les échecs à la maturité explosent, le débat sur les savoirs annonce un tonitruant retour sur la scène politique. Enseignante depuis plus de 25 ans, Chantal Maïkoff explique le bol d'air qu'a représenté la nouvelle méthode. Avant de nuancer. «Je n'imagine pas l'enseignement sans connaissances» lance tout de go Chantal Maïkoff, dans sa classe du collège de Vernex à Montreux où elle prépare sa… 28e rentrée. Vive, toujours passionnée, cette enseignante de première et deuxième primaire n'en souligne pas moins avoir vu arriver EVM comme un grand bol d'air: «Enfin j'avais officiellement le droit de faire ce que je faisais depuis longtemps, amener les enfants à réfléchir, chercher, essayer.» Le domaine clé de la lecture et de l'écriture, elle l'explique avec un puzzle où la compétence de «produire un texte pour communiquer quelque chose à quelqu'un», s'obtient en «enrichissant son vocabulaire», en «entraînant la production de phrases orales» mais aussi en «sachant utiliser les règles orthographiques et grammaticales». Rien n'a changé alors? «Si, l'attitude. On cherche le déclic qui poussera l'élève à vouloir connaître et utiliser.» Ainsi, c'est en faisant échanger des missives à deux classes qu'on déclenche chez les jeunes élèves l'envie de comprendre et d'être compris par écrit. L'enseignante est catégorique: «On perd moins de temps comme ça.» Ce qui n'exclut pas, souligne-t-elle, d'insister ensuite sur les exceptions verbales où les règles du pluriel. Autre exemple, le calcul. Addition et soustraction s'approchent à travers des jeux, reposant par exemple sur des cartes chiffrées. Pour pouvoir jouer, il faut se plonger dans les chiffres: «A partir de là, l'apprentissage ressemble encore beaucoup à ce qu'ont connu les parents. Pour les livrets ou les tables d'addition, il y a encore du drill et de la mémorisation, mais on n'attend pas d'avoir maîtrisé toutes les techniques pour se lancer. Après tout, le but c'est de résoudre des problèmes.» Rappelant que lorsqu'elle a commencé à enseigner elle dispensait 32 heures de 60 minutes et qu'elle en est aujourd'hui à 28 périodes de 45 minutes, Chantal Maïkoff place aussi l'enseignement actuel sous le signe des choix: «Valoriser les compétences, ce n'est pas minimiser les connaissances, c'est aller à l'essentiel.» Elle déplore une dispute «qui donne une image catastrophique dans le public au moment où on fait une école qui ait du sens pour les enfants.» Il semble inspiré, après le compromis sur les notes, d'en trouver un sur les plans d'étude. Au final, le document rompt d'emblée avec une description des programmes par discipline et par degré. Il adopte un découpage en trois cycles scolaires: de la 1re enfantine à la 2e primaire; de la 3e à la 6e; de la 7e à la 9e. Pour chacun des cycles le Pecaro englobe instruction et éducation, se basant pour cela sur la déclaration des finalités et objectifs de l'école publique adoptée par la CIIP le 30 janvier 2003. L'instruction est déclinée en cinq disciplines avec des proportions minimales de temps d'enseignement pour chacune d'elle. Arts (de 16% au 1er cycle à 9% au 3e cycle); corps en mouvement (de 12% à 9%); langues (32%); mathématiques et sciences de la nature (de 18% à 22%); sciences de l'homme et de la société (de 4% à 9%). L'éducation est sous le manteau d'une «formation générale» (8% pour tous les cycles), également contestée par les détracteurs de Pecaro, déclinée en «rapport à soi, aux autres, et au monde». Chaque canton peut encore faire valoir son génie propre dans 10% des programmes. Collaboration, communication, démarche critique, pensée créatrice, réflexion sont enfin des «capacités transversales» appelées à être développées dans tous les apprentissages. Sur ce canevas, Pecaro énumère 109 «objectifs d'apprentissages», qui se retrouvent au cœur du débat. Exemple en premier cycle, avec un but comme «lire et écrire en français des textes courts d'usage familier et scolaire et s'approprier le système de la langue écrite». Les opposants demandent pourquoi la connaissance de l'orthographe ne figure pas parmi les acquisitions nécessaires, alors que «comprendre la nécessité et les fonctions de la lecture-écriture» est mentionné. A l'inverse, le Pecaro se révèle très détaillé en sériant des «orientations pédagogiques et didactiques». «On dit aux maîtres comment enseigner au lieu de leur fixer les buts» déplore Jacques-André Haury. L'introduction du Pecaro s'en défend: «Le programme met l'accent sur ce que l'élève doit apprendre plutôt que sur ce que le maître doit enseigner.» L'enjeu n'est pas une simple affaire de spécialistes. L'autre grande ambition du Pecaro est en effet, par le biais d'un concordat, d'avoir un statut juridique contraignant. Une large discussion politique est bel et bien nécessaire. |
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